D’un monde à l’autre…

 

Si proche, si loin… Le monde, ce monde que l’on a appris à réentendre battre quand il a fallu prendre le temps de s’arrêter, pour s’écouter et l’écouter…

Qui de nous deux ? Peu importe, nous n’étions plus en phase, alors il fallait bien réapprendre à ébaucher un dialogue qui s’était longtemps dans des bavardages perdu et corrompu.

Florence Arnold, dans son atelier, s’est interrogée, comme beaucoup d’entre nous. Était-ce une fin ? D’un connu devenu absurde et étroit vers un ou des inconnus qu’il fallait questionner et éventuellement acclimater.

Et si il fallait encore tout recommencer pour accueillir cette transmutation, ses promesses ou ses menaces, l’artiste se tient prête qui a fourbi, pendant cette étrange parenthèse du confinement, de nouveaux outils formels, chromatiques et conceptuels.

Dans un exercice maitrisé de synthèse, elle recombine dans un élégant froissement d’extraits de différentes cartes géographiques et de divers matériaux aux textures contrastées, des formes organiques qui semblent encore respirer et sourdre d’une mystérieuse activité.

 

Ce faisant, l’artiste recrée de nouvelles cartographies dont les nouvelles proximités et les voisinages inédits qu’elles mettent à jour nous renvoient à l’étymologie de la notion d’utopie : soit une négation par le préfixe accolé au terme topos de la notion de Lieu. Il s’agirait donc d’un lieu sans lieu…

A partir de ce concept, particulièrement signifiant lorsque l’on considère ce récent corpus d’œuvres de Florence Arnold, développé dans l’incertitude totale de pouvoir accéder à nouveau au Monde, qu’il ait ou non fait place à une nouvelle ère et à ses paradigmes, il paraît intéressant également de s’intéresser à ceux voisins, de : topologie et d’hétérotopie.

 

Mon premier est la discipline scientifique qui mêle algèbre et géométrie et qui permet de déduire à partir de certaines équations de nouveaux ensembles de voisinage en vertu de mouvements qui ne nous sont pas toujours visibles hors ces calculs à diverses inconnues… Sans doute que celles qui animent Florence sont étroitement liées à un parcours cosmopolite particulièrement riche qui en fait une citoyenne du monde, habitée d’odeurs, de danses et de faunes aux réminiscences particulièrement créatives !

 

Quant à l’hétérotopie, il s’agit de lieux qui échappent à ceux habituellement habités des hommes et de leurs civilisations, et qui sont potentiellement aptes à recevoir et à accueillir nos utopies.

 

Dans cette théorie foucaldienne, le philosophe conclut par l’exemple qui lui paraît le plus pertinent pour donner corps à ses définitions de ces « Espaces autres » (étymologie de Hétéro-topie, nb) est qui serait incarné par le Bateau comme espace naviguant en permanence entre différentes réalités.1

 

Ainsi, au-delà d’imaginer ce monde qui vient, à la rescousse de cet autre en pleine décadence qui semble devoir bientôt laisser sa place, Florence Arnold lui crée également une topographie évanescente et pleine de grâce et de légèreté. Aussi fragile mais transcendante qu’un bruissement d’aile de papillon dont on ne sait pas encore de quels effets il saura nous surprendre et nous étonner.

 

Une topographie rehaussée de ces fils rouges qui nous ouvrent de nouveaux itinéraires tout en irriguant les œuvres de Florence, charnelles et incarnées de cette vie ardente qu’elle sait toujours nous restituer qu’elle explore des corps qui dansent ou notre terre qui réapprend enfin à respirer.

 

Et ici, la polysémie inépuisable des œuvres de l’artiste trouve une métaphore multiple et parfaite dans celle foucaldienne de la navigation maritime et des étendues océaniques comme espaces et langages de la liberté d’être et de créer. Que cela soit par l’usage du fil rouge (moyen de reconnaissance typique des cordages marins2) ou par le répertoire de formes de ses sculptures empruntant aux conques et aux coquillages et qui semblent nous appeler pour nous murmurer la promesse d’une liberté, juste là, à notre portée…

 

 

Syham Weigant,

critique d’art et commissaire d’expositions

 

Casablanca, mai 2021.

 

 

1 « Le navire, c'est l'hétérotopie par excellence. Dans les civilisations sans bateaux les rêves se tarissent. » in FOUCAULT Michel, Des Espaces autres. 1967.

 

2 « Nous avons entendu parler d’une disposition particulière à la marine anglaise. Tous les cordages de la flotte royale, des plus forts aux plus faibles, sont faits de telle sorte qu’un fil rouge leur est incorporé de façon à ne pouvoir être enlevé sans tout désorganiser ; par-là les petits bouts de cordage sont reconnaissables comme étant la propriété de la Couronne. De même, tout le journal d’Ottilie est parcouru d’un fil qui symbolise le penchant et l’attachement, et qui relie le tout et caractérise l’ensemble ». in GOETHE Wolfgang (van), Les Affinités électives. 1809.