Chaos et Chronos.

Florence Arnold peint exclusivement des corps humains. De ses premiers tableaux aux œuvres récentes, la relation à ce sujet se complexifie. L'enjeu de la figuration s'élargit à celui de la peinture qui est d'ores et déjà une affaire d'incarnation. Les torses féminins qu'elle réalise en 2008 émergent d'une eau trouble. Ils prennent forme en un effort dont on ne sait s'il les délivrera ou achèvera de les noyer dans le liquide pictural qui les composent. Les figures se lient aux possibilités de la matière, la surface épidermique des tableaux alterne entre les jus et les concrétions de matière. Le mouvement réflexif se poursuit avec une série de nus représentés en position foetale.

Recroquevillés sur eux-mêmes, ils préparent à l'abri des regards les conditions de leur renaissance. Ce corps à corps engagé avec la peinture ( et sa question, ontologique , d'incarnation ) trouve son prolongement symbolique dans une série de tableaux intitulée L'Un et L'Autre (2009), où l'étreinte entre deux silhouettes peut se lire comme un combat formel de la figure avec le fond.

Erotiques et Funambules

Représentées en transparence sur un fond brun, les Erotiques sont des corps fantomatiques. Elles tranchent avec ces nus sensuels qui se formaient dans la peinture ou s'y noyaient en une fusion originelle. La matière picturale qui les récupérait généreusement en son sein est désormais absente. Les Erotiques chutent et se disloquent, vulnérables, dans un vide abyssal.

La série des Funambules leur fait écho. En elle se joue la question de l'équilibre des corps. La silhouette acéphale de l'un d'entre eux inquiète par sa raideur. La raccourci brutal de sa jambe droite élançant le pied vers le spectateur contribue à ce sentiment d'étrangeté. Une impression tout autre se dégage d'un autre Funambule à la démarche sensuelle et assurée.Mais une observation plus attentive relèvera derrière cette agilité de surface que le corps, désaxé par rapport au fil, poursuit sa marche dans l'horizon de la chute.

Erotiques et Funambule focalisent en réalité notre attention sur les pieds Exhibés au premier plan du tableau, ils sont expressionnistes par leurs déformations et leurs orteils sont parfois maculés d'un rouge sang. «  Pourquoi aurai-je besoin de pieds quand j'ai des ailes pour voler ? » écrivait la peintre Frida Khalo, condamnée à vivre dans un corps brisé après un accident. Cette aspiration métaphysique de libération exprime une révolte contre le corps qui contraint et renvoie à notre finitude. Elle est évoquée par Florence Arnold dans deux grandes compositions aux reminiscences icariennes ( Sans titre et Composition, 2011). Evoluant hors de tout contexte narratif défini, les figures peintes par Florence Arnold expriment ces contradictions psychologiques qui nous divisent. En elles se lisent les récits de nos déséquilibres intérieurs. Elles font sourdre une angoisse liée à notre condition de mortel.

Les Erosions

La série des Erosions évoque d'emblée l'idée de corps physiques travaillés par des forces hostiles. Florence Arnold les fragmente, fissure leur chair. Peut-être sont-ils l'écho d'une culture contemporaine de la démesure, où la prédation frénétique de la nature et des hommes entre eux engendre d'irréversibles catastrophes? Les bandes de tissu qui les composent assimilent les chairs à des lambeaux ou à des bandelettes chirurgicales. Sont-ils soumis à la destruction ou s'extraient-ils d'une dépouille, tel un serpent qui muerait pour grandir ? En se détachant des corps, séduisants carcans, pour leur infliger d'insolentes métamorphoses, Florence Arnold élargit son territoire d'investigation. Elle poursuit sa quête d'une expression juste, en adéquation avec les questionnements qui sont les siens. Le fil sur lequel ses funambules se tiennent est aussi celui d'Ariane : à suivre de près.

Marguerite Pilven